http://agora.qc.ca/dossiers/Entropie
Où va le monde, à quoi ressemblera la terre qu’habiteront nos descendants? La notion d’entropie enferme la réponse la plus sûre à ces questions, les plus graves qui soient après celles qui portent sur le sens de la vie et de la mort. Quand on demandait à Einstein quelle était à ses yeux la loi la plus importante de la physique, il répondait: «le second principe de la thermodynamique.» La notion d'entropie est associée à ce second principe
La thermodynamique a pour objet les effets du travail, de la chaleur et de l’énergie sur un système. C’est, on s’en doute bien, après l’invention de la machine à vapeur que cette branche de la physique s’est développée.
Complexe dans ses ultimes raffinements, le second principe est aussi l’expression des observations les plus courantes et les plus banales. Un mot d’abord sur le premier principe. Il appartient au langage courant par la formule: rien ne se perd, rien ne se crée. La matière et l’énergie peuvent changer de forme, elles se conservent toujours. L’air que je respire en ferme des atomes que Platon a respirés il y a 2 500 ans et qui entre-temps ont peut-être été incorporés à la substance d’une plante ou d’un animal.
L’énergie peut toutefois se conserver sous diverses formes , sous celle du charbon par exemple ou celle de la chaleur que le charbon dégage dans une machine à vapeur. La différence est importante car sous la forme de la chaleur l’énergie n’est plus disponible pour produire du travail.
C’est le physicien allemand Clausius qui, en 1865, a forgé le mot "entropie". Sadi Carnot, un autre savant dont le nom est associé au second principe avait remarqué quarante ans plus tôt que l’une des caractéristiques de la machine à vapeur c’est qu’elle comporte une partie chaude et une partie froide et que cette différence fait partie des conditions de son fonctionnement. Plus la chaleur monte dans une partie, plus elle tend à se communiquer à l’autre partie. Si son expansion est freinée par une paroi quelconque, il en résultera à l’intérieur une pression qui actionnera une roue.
Ce passage du chaud au froid est un phénomène universel. Si nous déposons une tranche de pain chaude sur une autre froide, elles seront bientôt toutes les deux tièdes, atteignant ainsi l’équilibre.
Dans une machine à vapeur, une partie du charbon produit un travail, une autre partie se perd en chaleur et cette chaleur tend à se communiquer à ce qui est plus froid autour d’elle. On aura compris que plus la chaleur se disperse, plus il est difficile de lui faire produire du travail. On appelle entropie le processus par lequel l’énergie disponible se transforme en énergie non disponible. Il s'agit d'une grandeur mesurable. «Mesurée en calories, par gramme et par degré, elle est la quantité totale de chaleur ajoutée, divisée par la température.»1 Comme l’expérience nous le rappelle tous les jours de diverses manières, il s’agit là d’une loi de la nature qui constitue une réponse à la question Où va le monde? Il va à l’équilibre, à ce qui pour la matière est l’équivalent de la mort. Et ce processus est irréversible. Le rocher tombé de la montagne n’en fera pas l’escalade de lui-même, l’eau de la mer ne remontera pas les rivières et les chutes, l’énergie que la vie a rassemblée pour l’abandonner à la postérité sous forme de charbon, de pétrole ou de gaz, ne se reconstituera pas d’elle-même après avoir chauffé nos maisons et assuré le déplacement de nos véhicules.
La dégradation de l’énergie, ou sa transformation en énergie non-disponbile est l’un des aspects sous lequel on peut considérer le second principe. On peut dire aussi, comme nous le rappelle l’exemple de la diffusion de la chaleur, que l’énergie tend à perdre sa concentration, à se disperser. Il suffit d’ouvrir un flacon de parfum pour que l’énergie et l’odeur qu’elle contient se répandent dans toute une pièce. Il est intéressant de noter ce qui se passe alors à l’échelle moléculaire : à l’intérieur du flacon les molécules se heurtent les unes aux autres à rythme effréné : hors du flacon, elles s’entrechoquent mollement jusqu’à ce qu’elles se répartissent également dans leur nouvel espace.
On peut enfin présenter le second principe comme le passage de l’ordre au désordre. Une maison abandonnée à elle-même passe vite de l’ordre au désordre. Il faut ensuite une intervention extérieure accompagnée d’une grande dépense d’énergie pour remettre les choses en place et ainsi ramener l’ordre. Il en est ainsi dans la nature. Compte tenu de ce que nous venons de dire sur la dispersion, faut-il en conclure qu’il y a plus d’ordre dans le flacon où les molécules se déplacent plus vite et s’entrechoquent davantage que dans le grand espace où elles vont à l’équilibre. La réponse est oui. Preuve qu’il faut éviter de prendre le mot ordre dans un sens trop étroit quand on l’associe au second principe.
Pour mettre en relief le passage de l’ordre au désordre, les êtres vivants constituent un meilleur exemple que le flacon de parfum. Il y a un très haut degré d’ordre dans un être vivant, mais à sa mort, ou bien ses cendres sont dispersées, ou bien «tout va sous terre et entre dans le jeu,» comme dit le poète. (Paul Valéry) La mort est la fois perte d’ordre, perte de concentration et transformation d’énergie disponible en énergie non-disponible. Elle illustre les trois aspects de l’entropie.
À première vue toutefois, les êtres vivants constituent une exception au second principe. Ils vont en effet du désordre vers l’ordre. Il y a de nombreux éléments constitutifs dans une cellule; il faut que chacun soit à sa place et il faut aussi qu’ils soient liés entre eux- ce qui suppose une forte concentration d’énergie pour que la cellule vive et se reproduise. C’est pourquoi l’on peut dire avec le physicien Shrödinger que la vie est caractérisée par la néguentropie ou entropie négative
N’en concluons pas que le second principe est réfuté par la vie. L’univers auquel il s’applique est un système fermé. Les êtres vivants qui l’habitent, du moins en certaines de ses parties, sont des systèmes ouverts : il y a un échange de matière et d’énergie entre eux et leur environnement. C’est cet échange qui, dans certaines conditions, rend la vie possible. Mais même si elle se reproduit et si l’ordre s’accroît ainsi dans une partie de l’univers, le bilan global est celui que le second principe rendait prévisible : La vie ne peut créer de l’ordre à partir du désordre ambiant qu’au prix d’un accroissement du désordre ambiant global. La vie pollue. Elle est un luxe dans l’univers.
La couleur de la terre vue l'espace et la grisaille des autres planètes nous renvoient à la différence fondamentale entre la matière inanimée et la vie. La couleur de la terre est le signe de l'ordre supérieur dont la vie est capable. La grisaille qui l'entoure nous rappelle la règle générale dans l'univers, l'entropie, à laquelle la vie semble s'opposer, mais qu'elle accroît en réalité.
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Où va le monde, à quoi ressemblera la terre qu’habiteront nos descendants? La notion d’entropie enferme la réponse la plus sûre à ces questions, les plus graves qui soient après celles qui portent sur le sens de la vie et de la mort. Quand on demandait à Einstein quelle était à ses yeux la loi la plus importante de la physique, il répondait: «le second principe de la thermodynamique.» La notion d'entropie est associée à ce second principe
La thermodynamique a pour objet les effets du travail, de la chaleur et de l’énergie sur un système. C’est, on s’en doute bien, après l’invention de la machine à vapeur que cette branche de la physique s’est développée.
Complexe dans ses ultimes raffinements, le second principe est aussi l’expression des observations les plus courantes et les plus banales. Un mot d’abord sur le premier principe. Il appartient au langage courant par la formule: rien ne se perd, rien ne se crée. La matière et l’énergie peuvent changer de forme, elles se conservent toujours. L’air que je respire en ferme des atomes que Platon a respirés il y a 2 500 ans et qui entre-temps ont peut-être été incorporés à la substance d’une plante ou d’un animal.
L’énergie peut toutefois se conserver sous diverses formes , sous celle du charbon par exemple ou celle de la chaleur que le charbon dégage dans une machine à vapeur. La différence est importante car sous la forme de la chaleur l’énergie n’est plus disponible pour produire du travail.
C’est le physicien allemand Clausius qui, en 1865, a forgé le mot "entropie". Sadi Carnot, un autre savant dont le nom est associé au second principe avait remarqué quarante ans plus tôt que l’une des caractéristiques de la machine à vapeur c’est qu’elle comporte une partie chaude et une partie froide et que cette différence fait partie des conditions de son fonctionnement. Plus la chaleur monte dans une partie, plus elle tend à se communiquer à l’autre partie. Si son expansion est freinée par une paroi quelconque, il en résultera à l’intérieur une pression qui actionnera une roue.
Ce passage du chaud au froid est un phénomène universel. Si nous déposons une tranche de pain chaude sur une autre froide, elles seront bientôt toutes les deux tièdes, atteignant ainsi l’équilibre.
Dans une machine à vapeur, une partie du charbon produit un travail, une autre partie se perd en chaleur et cette chaleur tend à se communiquer à ce qui est plus froid autour d’elle. On aura compris que plus la chaleur se disperse, plus il est difficile de lui faire produire du travail. On appelle entropie le processus par lequel l’énergie disponible se transforme en énergie non disponible. Il s'agit d'une grandeur mesurable. «Mesurée en calories, par gramme et par degré, elle est la quantité totale de chaleur ajoutée, divisée par la température.»1 Comme l’expérience nous le rappelle tous les jours de diverses manières, il s’agit là d’une loi de la nature qui constitue une réponse à la question Où va le monde? Il va à l’équilibre, à ce qui pour la matière est l’équivalent de la mort. Et ce processus est irréversible. Le rocher tombé de la montagne n’en fera pas l’escalade de lui-même, l’eau de la mer ne remontera pas les rivières et les chutes, l’énergie que la vie a rassemblée pour l’abandonner à la postérité sous forme de charbon, de pétrole ou de gaz, ne se reconstituera pas d’elle-même après avoir chauffé nos maisons et assuré le déplacement de nos véhicules.
La dégradation de l’énergie, ou sa transformation en énergie non-disponbile est l’un des aspects sous lequel on peut considérer le second principe. On peut dire aussi, comme nous le rappelle l’exemple de la diffusion de la chaleur, que l’énergie tend à perdre sa concentration, à se disperser. Il suffit d’ouvrir un flacon de parfum pour que l’énergie et l’odeur qu’elle contient se répandent dans toute une pièce. Il est intéressant de noter ce qui se passe alors à l’échelle moléculaire : à l’intérieur du flacon les molécules se heurtent les unes aux autres à rythme effréné : hors du flacon, elles s’entrechoquent mollement jusqu’à ce qu’elles se répartissent également dans leur nouvel espace.
On peut enfin présenter le second principe comme le passage de l’ordre au désordre. Une maison abandonnée à elle-même passe vite de l’ordre au désordre. Il faut ensuite une intervention extérieure accompagnée d’une grande dépense d’énergie pour remettre les choses en place et ainsi ramener l’ordre. Il en est ainsi dans la nature. Compte tenu de ce que nous venons de dire sur la dispersion, faut-il en conclure qu’il y a plus d’ordre dans le flacon où les molécules se déplacent plus vite et s’entrechoquent davantage que dans le grand espace où elles vont à l’équilibre. La réponse est oui. Preuve qu’il faut éviter de prendre le mot ordre dans un sens trop étroit quand on l’associe au second principe.
Pour mettre en relief le passage de l’ordre au désordre, les êtres vivants constituent un meilleur exemple que le flacon de parfum. Il y a un très haut degré d’ordre dans un être vivant, mais à sa mort, ou bien ses cendres sont dispersées, ou bien «tout va sous terre et entre dans le jeu,» comme dit le poète. (Paul Valéry) La mort est la fois perte d’ordre, perte de concentration et transformation d’énergie disponible en énergie non-disponible. Elle illustre les trois aspects de l’entropie.
À première vue toutefois, les êtres vivants constituent une exception au second principe. Ils vont en effet du désordre vers l’ordre. Il y a de nombreux éléments constitutifs dans une cellule; il faut que chacun soit à sa place et il faut aussi qu’ils soient liés entre eux- ce qui suppose une forte concentration d’énergie pour que la cellule vive et se reproduise. C’est pourquoi l’on peut dire avec le physicien Shrödinger que la vie est caractérisée par la néguentropie ou entropie négative
N’en concluons pas que le second principe est réfuté par la vie. L’univers auquel il s’applique est un système fermé. Les êtres vivants qui l’habitent, du moins en certaines de ses parties, sont des systèmes ouverts : il y a un échange de matière et d’énergie entre eux et leur environnement. C’est cet échange qui, dans certaines conditions, rend la vie possible. Mais même si elle se reproduit et si l’ordre s’accroît ainsi dans une partie de l’univers, le bilan global est celui que le second principe rendait prévisible : La vie ne peut créer de l’ordre à partir du désordre ambiant qu’au prix d’un accroissement du désordre ambiant global. La vie pollue. Elle est un luxe dans l’univers.
La couleur de la terre vue l'espace et la grisaille des autres planètes nous renvoient à la différence fondamentale entre la matière inanimée et la vie. La couleur de la terre est le signe de l'ordre supérieur dont la vie est capable. La grisaille qui l'entoure nous rappelle la règle générale dans l'univers, l'entropie, à laquelle la vie semble s'opposer, mais qu'elle accroît en réalité.
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