PÉDOPSYCHIATRIE
Se tuer à 4 ans
Katia Gagnon
La Presse
En 12 ans de pratique dans un grand hôpital québécois, le pédopsychiatre n'avait pratiquement jamais vu ça.
Un enfant de 4 ans hospitalisé en psychiatrie parce qu'il s'était volontairement jeté devant une voiture. Tentative de suicide.
À 4 ans.
Cet exemple récent, qui nous a été raconté par un médecin sous le couvert de l'anonymat, est bien sûr extrême. Mais il illustre cependant une tendance de fond : les petits patients en pédopsychiatrie sont de plus en plus jeunes.Aucune statistique ne vient démontrer ce fait, mais les témoignages de plusieurs pédopsychiatres interviewés par La Presse vont à peu près tous dans le même sens.
«Les patients nous arrivent de plus en plus jeunes», dit Luc Blanchet, pédopsychiatre à l'hôpital Jean-Talon.«On ne peut pas démontrer ça de façon empirique, mais il y a comme une tendance», poursuit-il. À 8 ou 10 ans, raconte-t-il, des enfants consultent pour des problèmes d'anxiété grave. «Même à 6 ou 7 ans, on a des petits garçons qui parlent de mort.»Le Dr Blanchet a récemment vu un enfant d'un an et demi atteint d'un trouble alimentaire marqué : il refusait carrément de s'alimenter. Les parents ont dû consulter à la clinique alimentaire d'un service de psychiatrie pédiatrique.
Corps d'enfants, maux d'adultes
Il y a 10 ans, «on ne voyait pas de maladies psychiatriques comme telles chez les jeunes. Maintenant, c'est monnaie courante chez les adolescents et de plus en plus fréquent chez les enfants», dit la pédopsychiatre Marie Plante, du Centre hospitalier universitaire de Québec.Pourquoi? Évidemment, les diagnostics sont de plus en plus précoces et précis. «On dépiste plus tôt, on dépiste mieux. Avant, plusieurs enfants qu'on voit ici n'auraient pas consulté», souligne Patricia Garrel, chef du service de psychiatrie de Sainte-Justine.Mais le développement même des enfants pourrait aussi être en cause. «Le développement cognitif des enfants se fait plus rapidement. Or, la dépression est liée au développement cognitif», explique le psychiatre Jean-Jacques Breton, de l'hôpital Rivière-des-Prairies. «Le stress de nos vies fait ressortir les fragilités plus vite», ajoute Marie Plante.
Un jeune sur cinq.
Au cours de sa carrière de directeur d'école à la commission scolaire Pointe-de-l'Île, Alain Noël a souvent travaillé en milieu défavorisé. Et il a vu beaucoup, beaucoup de très jeunes enfants atteints. «Ce qui a vraiment changé, c'est l'âge des premiers symptômes : troisième, quatrième année», dit-il.Au Centre jeunesse de Montréal, on fait le même constat. À tel point qu'un projet d'entente vient d'être conclu avec deux hôpitaux de Montréal pour créer un hôpital de jour pour des tout-petits de moins de 5 ans atteints de problèmes de santé mentale. «La clientèle s'alourdit chez les petits», constate Anne Duret, coordonnatrice au soutien à l'intervention au CJM.Le Dr Breton a établi au début des années 90 que, parmi les jeunes de 6 à 14 ans, un sur cinq souffre de problèmes de santé mentale, pris au sens large. Pour un jeune sur 10, le trouble est grave. «C'est un chiffre modéré», précise-t-il. Car depuis 10 ans, ces données ont probablement fait un bond. «Les troubles alimentaires augmentent. Les dépressions surviennent plus tôt.»
Peu d'accès aux services d'aide
Le drame, c'est que ces enfants malades et leurs parents ont beaucoup de difficulté à obtenir de l'aide. Seuls 15 % des jeunes gravement atteints seront vus par un psychiatre. «Il nous en échappe énormément», dit Luc Blanchet.Dans les derniers mois, La Presse a recueilli plusieurs témoignages bouleversants de familles égarées dans les dédales du réseau qui se tournent, en désespoir de cause, vers les urgences ou même la police.Comme Nancy Wheaton, par exemple, mère d'un petit garçon de 8 ans atteint du syndrome de Gilles de la Tourette, une maladie aux frontières de la psychiatrie et de la neurologie. Pour maîtriser ses terribles accès de colère et son anxiété maladive, Alex prend chaque jour plusieurs doses d'un puissant antipsychotique.
Un jour, malchance, sa pédopsychiatre tombe malade. Pendant des mois, Mme Wheaton cherchera vainement un nouveau psychiatre pour suivre son fils. Le temps presse puisque le médicament tire à sa fin. «Sa pédiatre avait peur du médicament. Elle ne voulait pas toucher à ça».
En désespoir de cause, elle se rend aux urgences. Après huit heures d'attente, la pédopsychiatre de garde lui renouvelle son ordonnance. Les doses? À la mère de les ajuster! «Commence par ça. Tu vas voir ce que ça donne, et augmente la dose jusqu'à un résultat», lui dit la psychiatre. «Ils sont malades! Ils ne me connaissent même pas!» s'exclame Mme Wheaton.À cette mère, seule avec son conjoint, revient donc la lourde responsabilité de doser la médication de son fils. Car, bien sûr, la pédopsychiatre vue en urgence ne peut pas suivre le petit garçon. «Mon drame, c'est : pas assez. Alex n'est pas assez dépressif. Il n'est pas assez violent. Sinon, il serait suivi.»Son cas résume tout le drame des soins pédopsychiatriques au Québec : à moins d'une menace claire et immédiate, on a peu de chances d'obtenir des services.
3 commentaires:
Mon Dieu...
B.
Ca craint du boudin !
Et la, c'est le drame....
des lors tout s'enchaine
Mickael kael.
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