vendredi, avril 18, 2008

Travail, du latin tripalium, instrument à 3 pieux utilisé pour aider au "travail" des bêtes et du latin trabicula, chevalet de torture

Euzperiense - Job #2

L'année suivante, encore plein d'espoir sur les possibilités innombrables de la vie active ( ouais enfin J'en mets un peu quand même !) je m'étais dit : "Essayons de trouver quelque chose de plus payant que la station-service" car je m'étais initié à la musique.
Je gratouillais sur la guitare classique de ma soeur mais vu que plusieurs de mes copains étaient largement avancés en guitare ( dont Stef, ayant débuté le piano classiqueà 5 ans, 3 grand prix de Conservatoire - puis clash à 12 ans grâce à son grand frère : il découvre AC/DC ... mais c'est une autre histoire !), je m'estimais d'une utilité relativement inutile ! Comme mon père ne voulait pas que j'investisse dans une batterie ( je présume que les voisins le secondaient dans ce frein à ma liberté d'expression), j'ai décidé de me mettre à la Basse ! Mon pote Stef m'avait récupéré une vieille basse et j'avais 3 semaines pour apprendre 12 chansons avant le premier concert !

Mais je m'égare ( la r12 dans la cour ... c'est vendredi et ça fait 15 ans que je voulais la replacer celle-là). Le sujet était : Job #2 !
Encore une fois, celle-ci se trouvait pas très loin de chez moi. Malin le gars ! Faut dire qu'il fallait que je me déplace en bus sinon. Tandis que là ! Hop peinard, le vélo et j'y étais en 10 minutes !

C'était une assez grande usine qui construisait des chaudières à résistances. Un des directeurs commerciaux était un ancien voisin et connaissance de mon père ( ouais, je sais j'ai profiter du système ...) et m'a fait rentrer discrètement en précisant que la plupart du temps, ce genre de références ne fonctionnait pas car les jeunes trouvaient le boulot trop dur ! Mon père l'a rassuré ( à mon insu) que je ferai sûrement l'affaire compte-tenu de mon obstination maladive à me lancer dans la vie active.
La première semaine, J'emballais les sus-nommées chaudières dans de gros cartons et les stockaient dans d'énormes camions afin qu'elles soient exportées à travers toute l'Europe.
Je remplaçais un gars malade qui est revenu ensuite et ils m'ont changé de place semble-t-il car je faisais du zèle ! Ayant commencé seul, je n'avais pas vraiment de "barème" de débit et comme j'avais galéré la première journée à bien emballer, j'avais essayer de rattraper mon retard sur les autres jours ... Trop ! me souffla-t-on.

Fidèle à mon habitude, je m'étais déjà fait des ennemis avant même de m'en apercevoir.
Changement drastique, on me balancait à la fin de la chaîne des chaudières. Là, elles venaient de subir le test de l'étanchéité et se vidaient de l'eau qui a bouilli à l'intérieur. Il devait faire 45 degrés dans le coin ou je bossais et l'air climatisé n'existait pas encore dans cette partie reculée de la France ( Sud est de la Région parisienne ).
Telles des cadavres de vaches suspendues à des crochets, eux mêmes posés sur des rails, je devais les déplacer afin de les recouvrir de leur habit d'inox émaillé puis les décrocher. Elles pesaient entre 25 à 60 kilos selon les modèles et je devais en faire environ 24 il me semble par jour ! C'était le quota obligatoire pour ne pas ralentir trop la chaîne. Les premières journées, je me brûlais relativement souvent les avant-bras car les gants sont courts et il faisait tellement chaud que l'on travaillait en manches courtes avec un tablier juste pour éviter de déchirer les vêtements. Je me coupais de temps en temps aussi avec l'inox. Même à travers les gants ... Mais les gars avec qui je travaillais semblaient fiers de ces cicatrices, symboles de leur ancienneté, de leur endurance ( voire de leur virilité ?).

Le soir je rentrais en vélo ou à pieds,épuisé. Je comprend soudain les gens qui s'asseyaient devant leur télévision et s'endormaient de fatigue telles des larves humaines sans avoir eu l'impression d'accomplir quoique ce soit. (Pourquoi avais-je ce besoin de "vouloir" accomplir quelque chose ? Ah oui ... J'étais jeune !!)

Je ne rêvais plus ou je faisais des cauchemars à la " Les Temps Modernes" de Charlie Chaplin : je rêve que je travaille dans une usine "Brazilienne" ou tout me semble absurde mais il faut le faire quand même car ton Supérieur te hurle dessus. Je me souviens encore d'un en particulier : je dois remplir des bouteilles de lait ( et je fais une intolérance au lactose ) et à la fin de la chaîne, les bouteilles en verre se brisent et retombent dans un entonnoir qui récupère le lait et trie le verre pour refaire des bouteilles, etc.... Bref je ne comprenais pas ...et il était récurrent ! Bizarre !

Les journées recommencaient et se ressemblaient toutes. J'avais quelques collègues qui discutaient avec moi, "le p'tit gamin" et qui me bombardaient de questions sur le lycée. La majorité n'avait pas de diplômes et ceux qui m'interrogeaient tentaient d'acquérir des notions qu'ils avaient voulu avoir sans jamais en avoir eu la possibilité. Un jour, sur l'heure du repas, il y eut une violente altercation parce que j'avais rétorqué à un des chefs d'équipe à très gros bras que sa théorie de la biscotte qui tombe toujours du côté ou il y a le beurre parce que le côté était plus lourd était absurde. Ça avait failli mal finir avec une bagarre générale mais le Big Boss est arrivé et m'a pris à l'écart plus tard ( à l'appris de tout témoin) en me disant d'éviter de leur mettre trop d'idées dans la tête .
Sur le moment, je n'ai pas osé réagir ... En fait, je ne savais comment réagir ! C'est donc ici que je perdis encore quelques illusions.
Ce qui m'effraya aussi, fut que certains revenaient à peine de vacances qu'ils pensaient déjà aux prochaines , c'est à dire 52 semaines plus tard et que dès le premier jour, le négativisme refaisait surface ...
Je suis moi-même relativement pessimiste mais je pensais que les autres l'étaient moins que moi. La perspective de vivre cette boucle durant quarante années ou plus me terrifia.

Puis l'été finit. Je continuais aussi en Septembre car je rentrais à l'Université plus tard. J'ai retravaillé 3 ou 4 étés dans cette compagnie. Je fus le seul "étudiant" admis et durant toutes ces années, le chef d'équipe aux gros bras me regarda toujours de son oeil torve ...


L'introduction de " Politique du rebelle, traîté de résistance et d'insoumission" de Michel Onfray est très intéressante. J'y ai reconnu certaines de mes expériences et de mes sentiments de l'époque. Le reste du livre est parfois intéressant, parfois très chiant car il se lance ensuite souvent dans des phrases inutilement longues ou complexes et j'y perdais mon latin ... c'est dommage ...

Interlude
En passant "The Lost Fingers" un groupe cocasse ( et saoulant à force) de Québec qui reprend des standards de Mossieur Django Reinhardt mais aussi des "classiques" des années 80 sauce Manouche : You Shook Me All Night Long, Tainted Love, Beat it , Touch Me,etc.

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